Pogner I: Que celui qui n'a jamais dit le mot pogner... jette la première pierre!

Mai 1997

Y a-t-il des Québécois francophones qui n'utilisent pas le verbe pogner? Peut-être! Mais ils doivent être plutôt rares. Ce mot fait partie de notre paysage linguistique, tout comme mitaine ou abrier.

Par contre, si l'on demande à un Québécois d'énumérer les emplois du verbe pogner, il nous répondra probablement spontanément quelque chose comme: «On peut pogner une balle. On peut pogner un poisson à la pêche. La chicane peut pogner.» Et c'est à peu près tout. Pourtant, on peut pogner encore bien d'autres choses...

Le verbe pogner est un québécisme, c'est-à-dire qu'il ne fait pas partie du vocabulaire des Français; on ne le retrouve ni dans le Petit Robert, ni dans le Petit Larousse, ni dans les autres dictionnaires faits en France. De là probablement la difficulté d'en énumérer tous les emplois.

En fait, ces derniers sont très nombreux. Nous en avons recensé une soixantaine, dans notre mémoire de maîtrise, que l'on peut regrouper par grandes catégories de sens: «prendre avec la main» (pogner une balle, pogner la main à quelqu'un); «surprendre» (se faire pogner à voler, se faire pogner par la pluie); «réussir à monter à bord d'un véhicule» (pogner l'autobus); «saisir par l'esprit» (pogner une blague); «s'approprier» (pogner le pouvoir, pogner le contrôle); «trouver, rencontrer, obtenir par hasard» (pogner le gros lot, pogner une job);

«s'engager dans une voie de passage» (pogner l'autoroute); «frapper, heurter» (pogner une auto dans le côté); «écoper de, être en proie à» (pogner une contravention, pogner son coup de mort); «recevoir, capter» (pogner le câble, pogner la télévision); «se présenter, arriver (à quelqu'un), l'atteindre» (le mal de tête me pogne); «atteindre tel état» (pogner en pain, pogner en feu); «produire tel effet, son effet» (pogner avec les filles); «commencer à se manifester, éclater» (la chicane pogne, le feu pogne); «se trouver» (se pogner une blonde); «s'affronter, se battre, se disputer» (se pogner aux cheveux).

Dans la plupart des cas, on peut facilement remplacer pogner par un autre verbe très général comme prendre, attraper ou saisir. Il est d'ailleurs fréquent qu'on entende des choses comme: attraper une balle, se faire prendre à voler, attraper l'autobus, prendre le pouvoir, attraper son coup de mort, prendre en pain, la chicane prend. On peut aussi, dans certains cas, remplacer pogner par des mots dont le sens est plus restreint comme comprendre (pogner une blague), coller (pogner au fond), trouver (pogner une job), remporter (pogner le gros lot).

Mais, la grande question qui se pose alors est la suivante: est-ce que prendre l'autobus signifie la même chose que pogner l'autobus? En attendant une prochaine chronique, dans laquelle nous tenterons notamment de répondre à cette question, nous vous invitons à réfléchir à la différence que l'on fait, au Québec, entre les mots froid et fret...

© Nathalie Bacon, TLFQ, Université Laval