Pogner II: Prendre ou pogner l'autobus? Lequel fait le plus suer?

Juin 1997

Avez-vous réfléchi à la question posée à la fin de la première chronique sur le verbe pogner? Alors? Quelle est votre réponse? Je parie que vous avez répondu que pogner l'autobus ne voulait pas dire tout à fait la même chose que prendre l'autobus. Et est-ce que attraper la grippe signifie la même chose que pogner la grippe? Prendre et attraper sont-ils des synonymes parfaits de pogner? Quelle est donc la différence entre ces verbes?

Bien sûr, il existe une différence de niveau de langue. Tandis que prendre et attraper se rencontrent dans toutes les situations langagières, le verbe pogner, lui, s'entend dans les situations familières (entre amis, en famille, etc.). Mais n'y a-t-il que le registre qui serve à opposer ces verbes? Examinons-les d'un peu plus près.

N'avez-vous pas l'impression que si je pogne l'autobus, j'aurai peut-être un peu plus chaud que si je la prends, parce que j'aurai probablement couru, et que si je pogne mon sac d'école plutôt que de le prendre, c'est sans doute parce que je suis un peu pressée? C'est que le verbe pogner véhicule les idées de «rapidité» et de «précipitation» que le verbe prendre ne suggère pas. Par contre, on constate qu'il n'y a pas de grandes différences entre «j'ai pogné mon sac d'école et je suis sortie» et «j'ai attrapé mon sac d'école et je suis sortie». Dans les deux cas, j'étais probablement pressée. C'est que le verbe attraper évoque lui aussi les idées de «rapidité» et de «précipitation».

On peut se demander également si pogner ne véhiculerait pas en plus l'idée d'«insistance» qui l'opposerait à la fois à prendre et à attraper.

En effet, si l'on dit «la sauce a pogné au fond» et «son fils a pogné la grippe» plutôt que de dire «la sauce a pris au fond» et «son fils a attrapé la grippe», n'est-ce pas pour mettre davantage l'accent sur ce qui s'est passé avec la sauce et avec son fils?

Il nous paraît évident que, même si, dans la plupart des cas, pogner commute avec prendre et/ou attraper, le message que l'on fait passer n'est pas tout à fait le même selon le verbe que l'on choisit d'employer.

En outre, dans certains contextes, ni prendre ni attraper ne peuvent commuter avec le verbe pogner, par exemple dans la phrase suivante: «La pognes-tu ma farce?» C'est plutôt par des mots comme comprendre ou saisir que l'on pourrait ici remplacer pogner.

On peut donc affirmer que pogner ne s'oppose pas à prendre et à attraper seulement du point de vue du registre de langue, mais aussi par l'ampleur de son aire sémantique (ni prendre ni attraper ne commutent avec pogner dans tous ses emplois) et par les idées de «rapidité» et de «précipitation», voire d'«insistance» qu'il exprime. Et l'on peut se demander si ces caractéristiques ne seraient pas responsables de la grande affection des Québécois pour ce mot.

Dans une prochaine chronique, nous aborderons la question de l'origine du verbe pogner. Comment se fait-il que ce verbe, qui ne figure même pas dans les dictionnaires français, ait pris une telle importance au Québec? Et d'où peut bien venir ce mot?

© Nathalie Bacon, TLFQ, Université Laval